Fictions Sonores 6 questions à Mishka Lavigne

 

Mishka Lavigne (elle) est autrice dramatique, scénariste et traductrice littéraire. Ses textes ont été produits et développés au Canada, aux États-Unis, en France, en Suisse, en Allemagne, en Australie et à Haïti.


Elle a écrit les textes Cinéma, co-production du Théâtre Catapulte et du Théâtre Belvédère en 2015 à Ottawa et Vigile, produit par le Théâtre Rouge Écarlate. Elle a aussi écrit Havre, créée à la Troupe du Jour de Saskatoon en septembre 2018 et au POCHE/ GVE de Genève en janvier 2019. Le texte, publié aux Éditions l’Interligne, est lauréat du Prix du Gouverneur Général 2019 plus d’avoir été finaliste au Prix Michel-Tremblay. La pièce a été traduite en anglais, en allemand et en espagnol. Son texte Copeaux, produit à Ottawa en mars 2020 a aussi remporté le Prix littéraire du Gouverneur Général 2021 ainsi que le Prix littéraire Jacques-Poirier 2021 en plus d’être finaliste au Prix Marcel-Dubé 2021. Copeaux est traduit en anglais.

Mishka écrit aussi en anglais. Sa pièce Albumen a été créée dans le cadre de TACTICS à Ottawa en mars 2019 puis en Australie en juillet 2019 dans le cadre du No Intermission Festival à Sydney. Le texte est récipiendaire du QWF Playwriting Prize en novembre 2020. Son texte, Shorelines, sera créé à Ottawa en 2023 avec TACTICS et publié chez Playwrights’ Canada Press. Mishka signe aussi plusieurs projets audios, autant seule qu’en collaboration avec d’autres artistes (Le silence ici, Spoutnik : Hors des sentiers balisés, Kino-Radio 2021).

Mishka travaille présentement sur quatre nouveaux projets pour la scène : Granite et Lichen, les deux premières parties d’un triptyque, sur une nouvelle création à quatre mains avec l’autrice Pascale St-Onge, et sur une adaptation du roman Faunes de Christiane Vadnais en collaboration avec l’artiste de bande-dessinée Christian Quesnel et du metteur en scène Éric Jean. Mishka a aussi écrit Informationun livret d’opéra pour le compositeur montréalais Tim Brady (Bradyworks) qui sera produit en 2024. De plus, on pourra prochainement voir une production de son texte Murs à Ottawa et Caraquet (Créations In Vivo et Théâtre populaire d’Acadie).

Mishka est aussi traductrice, autant vers le français que vers l’anglais et signe près d’une vingtaine de traductions de théâtre, de prose et de poésie.

L’autrice Mishka Lavigne. 
(Crédit image : Marianne Duval)

 

1) Comment et autour de quels thèmes avez construit le récit de "Murs" ? Est-ce que son secret se cache derrière ce titre énigmatique ?

 

Dans mon écriture, je suis très intéressée par les relations familiales, surtout les relations frère/sœur. Je m’intéresse aussi beaucoup à l’amitié, aux familles choisies. Avec Murs, je voulais aussi parler d’espoir. La prémisse du texte est très sombre, je voulais voir ce qui pouvait s’en dégager de lumineux : cette idée de rebâtir, reconstruire, recommencer. 

Les premiers personnages qui ont vu le jour étaient Zoé et Éric, Sara par la suite. Un travail exploratoire avait été fait avec trois comédiens et un metteur en scène en 2012, quelques fragments de texte ont été écrits, mais c’est vraiment quand le personnage de l’Homme est né que le texte a pu commencer à prendre sa forme de maintenant.

Pour ce qui est du titre, c’était d’abord un titre de travail, mais je crois qu’il est tout indiqué. Ce sont les murs derrière lesquels on se cache, les murs qu’on érige autour de nous pour se protéger d’un trauma, les murs qu’on doit briser pour aller à la rencontre de l’autre, le mur figuratif au pied duquel on est acculé quand tout va mal et d’où il faut se relever pour recommencer. Tous les personnages cachent des choses, cherchent, se découragent, recommencent. Murs ça englobe tout ça.

 

2) La fiction arrive parfaitement à parler d’une pandémie. Comment l'utilisation du contexte actuel a influencé votre écriture sans pour autant rendre l'œuvre oppressante ou surfaite quand le sujet nous concerne toutes et tous aujourd'hui ?

 

Une première version de ce texte a été écrite en 2013-2014, version de laquelle je n’étais pas super satisfaite. Je l’ai laissé dormir un temps, surtout parce que je travaillais sur d’autres projets, mais j’ai retapé complètement le texte en 2016-2017. En gardant les mêmes personnages, la même idée, j’ai complètement recommencé l’écriture, pour resserrer l’action, pour changer les enjeux, etc. C’est cette version qui a mené à ce que vous avez entendu dans le balado. Le texte n’a eu que des changements mineurs depuis 2017. 

Quand la vraie pandémie de COVID-19 est survenue, je me suis dit que ce texte allait mourir dans un tiroir. Qui veut produire un texte sur une pandémie fictive avec tout ce qui se passe pour vrai? Mais Créations In Vivo et le Théâtre populaire d’Acadie ont voulu se lancer dans l’aventure. Pour eux, comme pour moi, ce texte ne parle pas de pandémie, il parle d’espoir, de la famille qu’on se reconstruit quand tout s’écroule, de l’idée-même de ce qu’est une communauté. La pandémie, pour moi, est en trame de fond. 

Bien honnêtement, je ne sais pas si je pourrais écrire un texte comme Murs après avoir vécu cette vraie pandémie… (mais ça c’est une autre histoire.)

 

3) Murs est tout d’abord un texte écrit par vous Mishka, il est adapté en pièce de théâtre par Eric et en balado - fiction sonore par Julien et Louis-Philippe. Est-ce qu’il s’agit de 3 oeuvres pensées chacune à leur tour ou bien l’imbrication du projet était-elle prévue dès l’écriture ? Quel a été le travail d’adaptation pour passer d’un format à l’autre ?

 

Murs est un texte écrit par moi, mis en scène au théâtre par Éric Perron. Il ne s’agit pas d’une adaptation, il utilise le texte tel qu’il est écrit. 
Pour l’adaptation pour la fiction sonore, une première phase d’adaptation a été faite par moi et une certaine latitude a été donnée à Julien et Louis-Philippe lors de l’enregistrement. Par exemple, certaines répliques dans les scènes de rêves ont été redécoupées pour que le rythme soit plus enlevant et se marie plus à l’environnement sonore. Mais le texte est vraiment de moi, du début à la fin. 

Le passage du texte de théâtre à l’audio a surtout été fait pour limiter les confusions (par exemple, ajouter les noms des personnages à quelques endroits, surtout au début, le temps que les auditeurs d’habituent aux voix des comédiens; ajouter des répliques qui indiquent ce qui se passe si ce n’était pas clair – genre « Lâche le gun! » au lieu d’un simple « Lâche ça. ». Les changements apportés au texte pour le faire passer à l’audio sont somme toute mineurs. Le texte à la scène ressemble presque à ce que vous avec entendu dans la balado. Donc vraiment, la balado est réalisée par Julien et Louis-Philippe, mais adaptée par moi. 

Le projet vers l’audio n’a pas été pensé dès l’écriture (qui date de 2013), c’est vraiment une idée née de la collaboration entre Créations In Vivo et le Théâtre populaire d’Acadie en temps de pandémie. Ce sont eux qui ont ensuite approché Transistor Médias.

Roch Castonguay, Florence Brunet, Gabriel Robichaud et Manon St-Jules 
(Crédit photo : Annie-France Noël)

 

4) La manière dont les actrices et acteurs se répondent, le rythme du texte, les paroles qui se chevauchent et s’imbriquent... On a l’impression d’assister à la naissance d’une nouvelle forme de fiction sonore, aviez-vous prévu d’expérimenter de la sorte dès le début du travail ?

 

C’est vraiment le texte pour la scène qui est écrit de cette façon. Certaines scènes ont été redécoupées par Julien pour ajouter encore plus de ce chevauchement (je pense ici à la scène de cauchemar après la rencontre du trio avec l’Homme) mais c’est quelque chose qui était déjà présent. 
Ces textes « à tresses » où les personnages évoluent côte-à-côte, où ils se croisent et s’éloignent comme les brins d’une tresse, sont un peu la marque de mon écriture. Je vois maintenant à quel point ça fonctionne aussi dans la fiction sonore et ça me donne le goût d’écrire aussi directement pour cette forme maintenant.

 

5) Est-ce que d’autres oeuvres, d’autres travaux vous ont inspiré ?

 

À l’écriture de la première mouture du texte en 2013, je voulais explorer la science-fiction au théâtre, une chose qui est peu présente, au théâtre d’abord, mais même dans la littérature francophone du Canada. 
Certaines influences ont été The Stand (Le Fléau en France) de Stephen King, la trilogie MaddAdam de Margaret Atwood et Station Eleven de Emily St- John Mandel, deux de ces trois œuvres ont maintenant des adaptations à la télévision. 

J’ai consommé énormément de littérature, films, séries postapocalyptiques entre 2012 et 2014, quand je travaillais sur la première mouture de Murs, mais je crois que j’ai réussi à trouver mon style, ma marque là-dedans : cette exploration de l’intimité du vide, du désastre, de la catastrophe. La notion d’espoir, la notion de famille que l’on choisit.

 

6) Pour terminer, pouvez-vous nous donner votre retour sur la place de la fiction sonore au Canada aujourd’hui et avez-vous des coups de coeur à partager avec nous (francophone et/ou anglophone) ?

 

J’ai eu un énorme coup de cœur pour l’adaptation balado de la pièce de théâtre Le peintre des Madones de Michel Marc Bouchard (https://transistor.media/balados/le-peintre-des-madones), aussi réalisé par Julien et Transistor Médias (plug, haha!) Du côté du Canada anglais, la balado PlayMe réalisée par la Canadian Broadcasting Corporation (https://www.cbc.ca/listen/cbc-podcasts/211-playme) est un incontournable et la plus écoutée des balados théâtrale en anglais au monde. Ce sont des adaptations théâtrales de textes de théâtre canadiens-anglais. Je suis un peu biaisée, parce que j’ai traduit le texte en français pour la scène, mais la balado Crawlspace de l’autrice Karen Hines (https://www.cbc.ca/player/play/1708770371918), produite par PlayMe est excellente. 

Je suis toujours d’avis qu’on devrait avoir encore plus de fiction sonore. Je suis devenue fan du genre sur le tard, un peu à cause de la pandémie, et j’en voudrais toujours plus. J’aurais aussi envie d’en écrire. J’ai même participé à une classe de maître à ce sujet en 2021 (Audio Drama : Writing for the Ear avec Pippa Johnstone.)

 

Je remercie Mishka Lavigne pour sa gentillesse et sa disponibilité.

Remerciements également à Voxographe pour sa relecture et ses conseils précieux.